Sourds (et muets)
Jésus a guéri un sourd.
Qui plus est, muet, ou presque.
Ah bon…
Jésus a guéri quelques aveugles.
Ah bon…
Il a guéri des lépreux,
Il a guéri la belle mère de Pierre, d’une mauvaise grippe, semble-t-il.
Ah bon…
Et il a libéré quelques cas de démons, des cas soc… Comme on dit.
Certains apparentés à des épileptiques ou des autistes.
Ah bon.
Y a-t-il parmi vous des sourds ?
De toute façon, si vous l’êtes, vous ne pouvez pas répondre puisque vous n’entendez même pas la question…
Alors un ou deux muets…?
Approche vous alors du tabernacle… Ça va marcher.
L’inconvénient, c’est que Jésus n’a pas guéri de malades de la Covid et semble-t-il, non plus de la variole du singe.
En fait, c’est très bien que Jésus ait réanimé 3 ou 4 morts, mais après ? Aujourd’hui, on lit ce récit d’un sourd qui va réentendre.
Et après ?
On est content que cela se soit fait. Très bien.
C’est une information de plus parmi les centaines dont nous sommes friands chaque jour.
Jésus auteur d’exploit.
Il y a quand même un problème…
Des millions de gens cherchent avidement des nouvelles sensationnelles tous les jours (résurrection d’un nouveau premier ministre, nouveau Moïse sauvé des eaux de Fréjus.. ,) mais les miracles de Jésus n’intéressent plus guère…
L’homme est bizarre.
Il est vrai que plutôt que d’apprendre une guérison d’il y a 2000 ans, je préférerais connaître le remède.
Savoir que Hippocrate a guéri Marcel, c’est bien.
Mais connaître le remède d’Hippocrate, c’est mieux.
Alors, le remède de Jésus ?…
Sa salive. Et puis sa parole : « effata.. » « ouvre-toi ».
C’est ce que le prêtre utilise au baptême d’ailleurs…
Il verse de l’eau.
Il prononce la parole de Jésus en touchant les oreilles du nouveau baptisé : « effata, ouvre-toi ».
Mais combien de nouveaux baptisés ont reçu l’onction, ont ouvert leurs oreilles à la parole du Salut, parole de vie, quand même, ce n’est pas rien… Et retournent avec les innombrables sourds à Dieu, sourds à l’Évangile, sourds au silence du cœur, pour être pollués des discours du monde, au minimum bruyants, au maximum débilitants ?
Mais je n’ai pas répondu à ma question première :
Et alors ?
Si nous lisons cet évangile de la guérison d’un sourd, ce n’est pas uniquement pour apprendre un miracle supplémentaire, il doit bien y avoir une leçon pratique, pour nous, là, aujourd’hui ?
Alors… Il y a deux solutions…
Soit Jésus guérit encore aujourd’hui ceux qui entendent mal, ceux qui ont des acouphènes, ou qui ont l’oreille abîmée.
(Beethoven aurait dû aller le consulter)
Et on demande le miracle.
Ce n’est pas interdit.
Sauf que la salive et les paroles de Jésus passeront par l’Église.
Le sacrement des malades peut être adapté.
Certains adoptent les prières de guérison.
Pourquoi ça ne marche pas toujours ? C’est vrai qu’il y a peu de sourds qui retrouvent l’oreille dans les témoignages de Lourdes ou sur le net.
Manque de foi, dira-t-on..
Mais il y a une deuxième solution pour éclairer le miracle de Jésus…
Supposons que nous soyons tous des sourds…
La caractéristique d’un sourd c’est qu’il ne sait pas quels messages il manque. Qui peut affirmer qu’il entend tous les messages de ses frères, de ses sœurs, de la réalité, de Dieu.
Surtout de Dieu ?
En ce sens-là le message de l’Évangile se fait audible.
Et la lecture de la prophétie d’Isaïe aussi d’ailleurs :
» voilà que s’ouvriront les oreilles des sourds »
Mais, frères et sœurs, ne sommes-nous pas tous sourds ?
Sourd de la compréhension des mystères.
Non seulement nous ne comprenons pas quand Dieu nous parle, ça c’est simplement qu’on est un peu limité ;
Mais plus encore, nous ne nous apercevons même pas que Dieu nous parle.
Nous passons à côté de la question.
Par exemple : si je demande à quelqu’un à la sortie de cette messe de me répéter
une phrase de cette homélie.
Peut-être la meilleure réponse sera : » il me semble que vous avez parlé de Lourdes… »
Pas mal…
Mais on va dire que c’est une affaire de mémoire plutôt que de surdité… Peut-être…
Mais d’autres diront :
» ah ?… vous avez fait une homélie ? « …
Là, c’est une affaire de surdité..
D’autres encore diront, parce qu’il faut bien s’en tirer honorablement :
» de toute façon on n’y comprend jamais rien à ce que vous dites. Alors, je réfléchit à la sauce du ragoût de midi ou aux affaires que mon fils doit récupérer pour l’école… Au moins ça sert à quelque chose. »
En fait ce sont ces derniers qui sont les vrais sourds.
Et bien, l’évangile nous apprend que la surdité est une affaire de présence, plus qu’une affaire d’oreille.
Celui qui rencontre le Christ, qui accueille la présence du Christ en lui, découvre les messages cachés qu’il n’aurait jamais perçu sans le Christ, sans l’Esprit du Christ, sans l’Esprit Saint.
C’est un peu comme quand on regarde un paysage…
On voit les oiseaux qui volent d’un arbre à l’autre.
On les entend piaillaient à tout va. Et le vent qui fait bouger les arbres et les bruits d’une tronçonneuse lointaine, les bruits du monde.
Vient la nuit, qui peut-être la nuit de la foi… les arbres disparaissent, les oiseaux se taisent, les hommes s’endorment..
Et se découvre alors l’immensité de la voûte étoilée.
Et l’on perçoit alors le message de l’origine du monde, et le vrai message de Dieu. On comprend qu’on était sourd à ce message en plein jour.
La voie lactée, difficile de l’apercevoir en plein jour.
La présence de Jésus réalise le même effet dans nos cœurs et pour nos intelligences.
C’est d’ailleurs le même rôle exact de l’Église : rôle d’illumination, d’ouverture de notre oreille, de notre compréhension.
Et lorsque l’on a entendu Jésus, alors on se rend compte que nos frères et sœurs aussi portent des messages auxquels nous restions sourd.
La présence de Jésus nous permet de saisir un message nouveau.
Nouveau pour nous, parce que c’est un message éternel.
Jésus nous met à part, et il soigne notre compréhension de la réalité.
Et ensuite, nous avons d’autres oreilles pour entendre nos frères et sœurs.
Et ensuite, nous ne voulons plus entendre les messages du monde qui nous rendent sourd à la saveur profonde des messages de l’Esprit.
Je reviens encore à ma question : Jésus guérit, et alors ?
Et alors… il nous ouvre l’oreille.
Et son premier message, c’est que nous sommes tous des malades, tous des sourds.
Et que c’est à partir de ce moment où nous croyons – car il faut le croire – que nous sommes sourds, que notre jugement est court, que nos raisonnements sont impurs, à partir de ce moment-là Jésus nous ouvre les oreilles et l’esprit.
Et comme par hasard, il nous donne aussi la parole.
Je le vois chers frères et sœurs, de façon fragrante aux obsèques, et parfois aux baptêmes, les fidèles ont perdu la parole parce qu’ils sont devenus sourds à la douce voix de Dieu.
Quand Jésus est absent, la discrète mélodie de la grâce divine ne touche plus l’oreille de notre cœur, le monde devient sourd, et pour reprendre le titre d’un livre célèbre arrive » le temps des chiens muets « ….
Arrive l’avènement d’un monde bruyant de sourds muets.
Le miracle de Jésus est de vaincre une maladie épidémique qui atrophie notre conscience et de nous rendre bien entendant.
Il a besoin d’un miracle pour cela, ce n’est pas une affaire naturelle et allant de soi..
Mais il ne crie pas. Il nous touche délicatement le cœur et nous invite avec douceur.
« Ouvre-toi »… « écoute le silence de la nuit et tu deviendras témoignage ».