Les croix nécessaires
Aïe… frères et sœurs, le Christ remue profond les apôtres.
S’il réveille le Diable en Saint Pierre c’est que ses mots pèsent lourds……
Dans notre vie, ce qui est profond est redoutable, parce que, inévitablement, cela demande un dépouillement.
D’abord une conversion, un renouvellement de notre cœur, et cela demande le sacrifice des zones les plus sensibles de notre âme.
Alors, je m’explique.
Le Christ semble interpeller ses apôtres, ses amis préférés, sur son identité. Bon, rien de bien méchant, semble-t-il.
Arrivent les réponses style ‘caté’…
Les apôtres lancent un peu au hasard, ce qui leur vient à l’esprit, des référence squ’ils connaissent bien…
Ils sont dans la culture religieuse de leur époque.
Ce sont des hommes pétris de Bible.
Plutôt que de dire ‘ de Gaulle’, ‘Louis XIV’, ou ‘Vercingétorix’, ou dans notre culture un peu plus récente, ‘capitaine Flam’, ou ‘SamSam, le super héros tout rouge’ … Les disciples pensent immédiatement aux héros du peuple saint :
Jean le Baptiste, Élie, Jérémie,… ils ne vont pas jusqu’à Moïse ou Noé, ça ferait un peu vieux.
Bref, ils font appel à leur mémoire immédiate.
Pierre à un autre mérite.
Il vise dans sa réponse à une mission éternelle.
« Tu es le Christ », autrement dit le Messie, celui que tous les juifs attendent depuis des siècles. (D’ailleurs, normalement, ils l’attendent toujours… Les pauvres…)
En fait, Pierre dit à Jésus :
» Y a pas mieux que toi ! » » il y a pas mieux que toi dans l’histoire de tous les temps. tu es la finalité ».
Mais il ne sait pas ce qu’il dit.
Sa parole est juste, elle le dépasse, mais elle n’a pas encore labouré sa vie. C’est un peu comme quand on est près d’un volcan. C’est impressionnant, ça peut fumer, mais c’est jouable.
Mais quand les entrailles de la terre grondent, bougent, et entrent en activité, on comprend qu’on est dans une autre dimension.
Et qu’il ne s’agit plus de s’amuser.
Il s’agit d’entrer dans un sauve qui peut.
Et c’est pour cela que Jésus conseille, et même ordonne de ne pas parler de lui. Plusieurs fois, il demandera la même chose : de faire silence sur les miracles jusqu’à ce qu’il soit mort et ressuscité.
‘Ne dites rien… ‘
Il sait que cela lui coûtera des ennuis, mais je crois que la raison de cet interdit est plus profonde.
C’est que Jésus veut que ses apôtres parlent en vérité.
Et ils ne sont pas encore en pure vérité vis-à-vis de lui.
Jésus n’est pas venu sur terre pour faire briller un titre.
Fusse celui de Messie ou celui de Sauveur.
Il est venu pour se donner et pour donner Dieu.
Notre religion n’est pas une religion d’un message. Elle n’est pas la religion d’un idéal ou d’un miracle.
Non plus celle d’une conquête, d’un pouvoir, ni même d’une sagesse.
Notre religion c’est de dire en vérité « Jésus est Christ et Seigneur » .
En vérité…
Vous savez, on peut dire de quelqu’un : ‘ c’est le maire du village’, ‘c’est le directeur de l’école’, ‘ c’est la boulangère’, mais ça ne va pas loin.
On peut dire de la même façon : ‘ Jésus-Christ est Sauveur’…
Sans que cela ait un écho en nous.
Mais Jésus dit – et c’est là que ça coince, pour Pierre, et pour nous… – ‘je vais mourir, je vais souffrir, je vais être anéanti, et je ressusciterai’.
Tout ça, même si on ne le comprend pas bien, on pressent que c’est au-dessus de nos forces.
Et que si on veut connaître Jésus, le Christ, il va falloir mourir, il va falloir souffrir, et croire à notre résurrection.
À sa Résurrection et à notre résurrection.
Et ça, on ne peut pas le dire en vérité, c’est-à-dire le vivre, sans la grâce de Dieu. Et Pierre, Simon-Pierre, ne le comprend pas encore.
C’est normal, il est le premier à l’entendre.
Nous, nous avons le témoignage.
Le témoignage des apôtres qui ont hésité, qui ont tremblé, mais qui ont été ensuite illuminés par le Saint-Esprit.
Nous connaissons, vaguement, en théorie, ou au mieux, en signes avant coureur, l’ébranlement de la grâce de Dieu.
Mais pour connaître quelqu’un, – et c’est bien cela le chemin de la foi de notre religion : connaître quelqu’un… le seul qui est notre bonheur – pour le connaître il faut l’aimer.
Pour connaître quelqu’un il faut être uni à lui.
Voilà le cœur de notre religion.
De la plus intime union.
Et c’est, effectivement, diamétralement opposé à la démarche de Satan. Satan veut rester lui-même, selon ses plans.
Il ne veut rien sacrifier de lui-même par amour pour un autre.
Pierre fait le jeu de Satan, parce qu’il veut ramener Jésus à sa dimension humaine.
Pour lui, c’est une dimension idéale.
Voilà pourquoi Jésus est si sévère avec lui. Surtout devant les autres disciples.
Et voilà pourquoi Jésus va conclure devant tout le monde de manière admirable. Pour les uns certainement, énigmatique…
Pour d’autres, inquiétante…
» celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile, de la bonne nouvelle du Royaume, celui-là la sauvera ».
Vous voyez frères et sœurs, Jésus résume tout dans ces mots. Perdre sa vie…
Pour lui…
Et être sauvé…
Perdre sa vie pour quelqu’un, on ne peut le faire que dans l’amour, par un acte réel d’amour.
Pour les apôtres ce sera d’aller jusqu’au martyre.
Pour nous, ça doit commencer par de longues heures dépouillantes de prière. Sans cet effort pas facile et persévérant, ne croyons pas être en vérité.
Ça doit commencer par une fidélité austère aux sacrements.
Tant que notre fidélité n’est pas érodée par le temps, je dirais même tant que notre fidélité n’est pas fatiguée, tout en ne lâchant pas pour autant, il reste un masque qui couvre notre visage, une méconnaissance de Jésus-Christ.
Une légèreté.
Jésus le précise bien ; il faut renoncer à soi-même, prendre sa croix pour le suivre.
C’est par la solitude, le désert intérieur, la lassitude des échecs ou des souffrances, que notre amour vrai est mis à nu.
C’est difficile à dire.
C’est difficile à préconiser pour les autres.
Mais c’est Jésus qui le dit.
La béatitude, c’est-à-dire notre joie absolument profonde, n’est pas dans la souffrance, elle n’est pas dans la solitude, elle n’est pas dans la persécution, dans le harcèlement ou dans le rejet des autres…
Mais la découverte de l’amour vrai passe par ces situations de blessures.
Notre pauvre condition nécessite de ressentir la blessure pour naître à la vérité
de l’amour.
Dans l’épreuve s’enracine le vrai amour… Et à ce moment-là le vrai amour correspond à notre salut.
À notre libération.
Ça peut paraître un mot mais c’est le fond de notre vie.
Ça peut paraître une option, mais c’est le désir fondamental de notre nature : être libéré de nous-même, trouver la joie exultante dans le fond le plus obscur de notre âme, c’est exactement cela notre salut dont Jésus, et lui seul, nous ouvre le chemin secret.
Ça ne veut pas dire qu’il faut rechercher les souffrances – surtout pas ! – mais cela veut dire qu’il ne faut pas aller dans le chemin inverse, de la fuite et des divertissements.
Car jamais nous accueillerons la grâce de Dieu dans les faux-semblants du monde. Notre cœur indéfectiblement contre le cœur du Christ nous ouvrira la porte de lumière.
Nous serons perdus, oui, mais Dieu qui nous a créé par amour, nous recréera au plus profond de notre obscurité librement consentie.
Et nous nous retrouverons, par lui, en notre vérité.
Ébloui par notre vérité.
Voilà un petit poème persan qui résume tout cela :
« l’ami frappa à la porte.
De l’intérieur la voix demanda :’ qui es-tu?’
‘ c’est moi’
Mais la porte resta fermée.
Alors, il s’en alla au désert, dans la solitude, il jeûna et pria pendant un an. Puis il revint, frappa de nouveau à la porte.
‘ qui es-tu ?’
Cette fois-ci il répondit:
‘ c’est toi !’
Et la porte s’ouvrit… »
Comprenne qui pourra…