Il y a une sorte de match entre ce Scribe et Jésus ? Une confrontation dans l’esprit.
Je m’imagine ce scribe encore jeune.
D’abord pour sa question…
» quel est le premier de tous les commandements ? »
Bonne question, mais c’est question d’étudiant versé dans l’écriture.
Il classifie. il met un premier, un second…
Et puis si on ne répond pas dans l’ordre, hé bien, il a gagné..!
En fait il essaie de surprendre Jésus, avec une question très classique. Ça fait un peu jeune comme démarche.
Mais Jésus, comme souvent, se prend au jeu.
Il se laisse inviter sur le terrain de son adversaire.
Et il va citer Moïse.
Pourquoi Moïse ?
Parce que c’est le premier qui dit des commandements.
’Commandements’ ça veut dire quelques bases de la loi naturelle.
Pour un juif la loi naturelle est inséparable de la loi surnaturelle, et donc, de la relation avec Dieu.
À vrai dire pour un chrétien ça devrait être la même chose.
Donc Jésus reprend les bases de Moïse.
Or Moïse commence par… la crainte du Seigneur.
‘ tu craindras le Seigneur ton Dieu.’
‘ tu écouteras’
‘Tu aimeras de tout ton cœur de toute ton âme de toute ta force. ‘
Le scribe n’est pas mécontent, mais en fait il ignore une chose.
Il ignore que le monde pèse ou reste léger.
À deux, on peut vivre un même événement, et même à deux on peut commenter un même événement, avec les mêmes mots, et cependant les mots ne pèseront pas de la même densité .
Pour illustrer cela, il y a un magnifique dialogue dans la pièce de théâtre de Jean Giraudoux, ‘ la guerre de Troie n’aura pas lieu’…
Entre Hector, qui voudrait à tout prix éviter cette guerre, mais qui ne comprend pas tous les enjeux subtils et psychologiques qui conduiront à la guerre.
Entre Hector et Ulysse, simplement Ulysse est plus fin, plus respectueux de la réalité, bref… il a un meilleur discernement.
Je ne résiste pas à reprendre ce dialogue grandiose – scène treizième :
Hector : voilà le vrai combat Ulysse ?
Ulysse : le combat d’où sortira ou ne sortira pas la guerre, oui.
Hector : elle en sortira ?
Ulysse : nous allons le savoir dans 5 minutes.
Hector : si c’est un combat de paroles, mes chances sont faibles.
Ulysse : je crois que cela sera plutôt une pesée. nous avons vraiment l’air d’être chacun sur un plateau d’une balance. Le poids parlera…
Et s’engage entre les deux hommes un ping-pong de répliques pour savoir lequel des deux pèse le plus lourd.
Hector : mon poids ? ce que je pèse, Ulysse ? je pèse un homme jeune, une femme jeune ( il pense à Andromaque, sa jeune épouse qui attend un enfant).
Je pèse un enfant à naître. je pèse la joie de vivre, la confiance de vivre, l’élan vers ce qui est juste et naturel.
Ulysse : je pèse l’homme adulte, la femme de 30 ans, ( la femme de Ulysse c’est Pénélope et son fils Télémaque),
Je pèse le fils que je mesure chaque mois avec des encoches, contre le chambranle du palais…
Mon beau-père prétend que j’abîme la menuiserie… Je pèse la volupté de vivre et la méfiance de la vie.
Vous voyez dès cette première réplique, Ulysse a gagné. Il est plus fin, plus précis, plus mature que Hector.
Mais continuons…
Hector : je pèse la chasse, le courage, la fidélité, l’amour.
Ulysse : je pèse la circonspection devant les dieux, les hommes, les choses.
Encore une fois Ulysse est plus délicat, plus profond. Mais continuons.
Hector : je pèse le chêne phrygien, tous les chênes phrygiens feuillus et trapus, qui sont plantés sur nos collines, avec nos bœufs frisés.
Ulysse : je pèse l’olivier.
Hector : je pèse le faucon, je regarde le soleil en face.
Ulysse toujours plus profons : je pèse la chouette.
Hector : je pèse tout un peuple de paysan, de laboureurs, d’artisans laborieux, des milliers de charrues de métiers à tisser, de forges et d’enclume… Oh !
… et là Hector se rend compte qu’il a perdu….
Il ajoute : oh ! pourquoi, devant vous, tous ces poids me paraissent-ils tout à coup si légers ?
Et Ulysse enfonce le clou :
’Je pèse ce que pèse cet air incorruptible et impitoyable sur la côte et sur l’archipel.’
Hector comprend que le destin lui échappe : ’Pourquoi continuer ? la balance s’incline…’ dit-il Ulysse : de mon côté ?… oui, je le crois.
Hector : et vous voulez la guerre ?
Ulysse : je ne la veux pas. mais je suis moins sûr de ses intentions à elle.
Voilà, je ne vais pas vous rejouer toute la pièce de Giraudoux qui est génial. Vous vous souvenez bien sûr, que la guerre de Troie aura lieu à cause des beaux yeux d’Hélène enlevée par les Troyens.
Et Hector, belle personnalité pourtant, mourra, laissant Andromaque éplorée.
Moïse dit au peuple :
» tu craindras le Seigneur ton Dieu »
Jésus dit au scribe :
» tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur de toute ton âme de tout ton esprit, de toute ta force »
Le scribe est content, mais il garde cela comme un sujet de dissertation.
Jésus, lui, mourra sur la Croix pour l’illustrer.
Application pratique…
Pour nos chrétiens du 21e siècle.
On peut bien dire « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. »
Mais on oublie ce qu’a dit Moïse : » tu craindras le Seigneur ton Dieu » Autrement dit, tu ne joueras pas au plus fin avec ton Dieu.
Cela veut dire exactement pareil que :
» ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur »
Notre foi, notre religion, si elle n’est pas vécue du profond du cœur, – avec pauvreté bien évidemment. La pauvreté n’est pas un obstacle – mais si elle n’est pas vécue du profond du cœur, elle sonnera faux.
Et je constate une attitude qui révèle très vite si la foi de quelqu’un est vécue par son cœur ou est vécue par ses lèvres.
C’est par la place qu’il met aux priorités dans sa vie.
Ô… on va tout bien faire !
On va même faire des sacrifices. Faire des prières.
On va aider son prochain.
Et puis quelqu’un nous appelle, et on laisse tout tomber. On oublie que Dieu est l’unique Seigneur. Notre Créateur. Transcendant. Tout-puissant.
On oublie la priorité de telle fête, de telle messe. De telle vérité évangélique. On ne se rend pas compte qu’on est inconséquent.
On va entrer dans l’église, avec son enfant pour brûler une petite bougie devant la Sainte Vierge, et on va lui acheter un masque idiot pour Halloween.
En telle circonstance, d’un coup, l’intérêt ou le plaisir reprend le dessus.
Et c’est là que l’on voit que l’amour n’était pas enraciné.
On va entrer dans l’église comme on entre à Intermarché, dans le bureau de poste, ou tout simplement dans sa cuisine…
On ne va même pas se rendre compte que certains sont en train de prier, on ne va même pas se rendre compte que Jésus nous attend en silence pour faire le silence en nous.
Notre foi n’est pas enracinée.
C’est la foi du scribe.
Une foi qui peut-être d’étude, ou une foi qui peut-être fatiguée de politesse. Mais ce n’est pas une foi qui a saisi le cœur.
Il ne s’agit pas de ressentir quelque chose, mais on ne voit pas, charnellement, et spirituellement, les priorités.
On ne les voit plus et on ne les respecte plus.
On est devenu un chrétien de surface. Léger d’amour.
» tu n’es pas loin du Royaume de Dieu … »
C’est sûr, mais entre toi et le Royaume il y a un gouffre !
Par très large, mais c’est un gouffre….
Les chrétiens aux remarques judicieuses, ça se trouve.
… Pas aussi souvent qu’on le voudrait, soit.
Mais les chrétiens amoureux du Christ ressuscité… comme on voudrait qu’ils soient plus nombreux !
L’Eglise resplendirait de bonheur et de fécondité.
Et le second commandement serait vécu en vérité.