SIXIEME DIMANCHE ORDINAIRE 2025

Bienheureux les pauvres

Heureux les pauvres…
La pauvreté, comme la pureté d’ailleurs, c’est un creux au cœur de notre âme et de notre corps, qu’il est bien difficile de définir.

Ce n’est pas parce que l’on manque de certains biens, que l’on est obligatoirement pauvre.
Surtout si ce manque est matériel.
Certains, par choix et par intelligence, se privent de certaines satisfactions, de certaines richesses, pour jouir d’un plaisir qu’ils préfèrent.
Plaisir légitime ou coupable.
Ils n’en sont pas pauvres pour autant.
Tel avare qui va se priver de manger pour garder davantage son trésor…
Tel père ou mère de famille, qui va se réjouir d’un sacrifice pour mieux donner à ses enfants.
Préférer garder une vieille paire de chaussures pour acheter une plus belle trottinette.
Est-ce qu’on peut parler de pauvreté dans ces cas-là ?

Et puis, un petit garçon bien habillé, bien au chaud, tourne, plein de vie, sur son petit tracteur en plastique. Il fait un excès de vitesse, il prend un virage, mal contrôlé. Tombe. S’écorche les genoux.
Grosses larmes, nez qui coule.
Et que fait sa grand-mère ?
Elle a le cœur serré pour cette immense souffrance, et elle ne peut s’empêcher de dire :  » le pauvre…! « 
Et elle a raison.
Ce petit garçon, il a tout. Mais patratac… il perd sa dignité. Son assurance.
( pour un bref moment, il est vrai…)
Mais vraiment, à ce moment-là, il sait qu’il est petit. Qu’il ne maîtrise pas tout.
C’est un pauvre petit garçon.

Et pour nous, chrétiens, nous faisons de la pauvreté une vertu… !

Condition même à notre relation d’amour.

Jésus insiste de nombreuses fois sur le fait que nous devons être pauvres.

Cela veut dire que, inévitablement, les richesses sont un frein ou un obstacle à l’amour de Dieu, à la charité.

N’est-ce pas parce que, dans notre état de péché originel, la moindre richesse, quelle qu’elle soit va nous attirer, nous rassurer faussement et amoindrir discrètement les désirs spirituels de notre cœur et la respiration de notre âme ?

Dieu aime la pauvreté. Parce qu’elle ôte le maquillage.

Elle rend sans défense. Sans défense surtout pour la venue de sa grâce.


Pour nous, chrétiens, la pauvreté est le choix, prophétique, de se priver de richesses, qui peuvent être tout à fait légitimes, … pour vivre de la seule Espérance.

Pas évident, je l’admets…
Pour le monde, qui ne vit pas d’Espérance, c’est incompréhensible, c’est absurde. Ça lui semble une faiblesse. Parfois même une tare.
Or, celui qui cherche ses avantages, ne serait-ce qu’un avantage à posséder, même en rêve, celui-ci n’a pas un cœur de pauvre.
Le seul véritable pauvre vise d’abord le seul trésor qui ne nous enrichit pas.

Et ce trésor, c’est la grâce de Dieu, la belle, l’amitié avec Dieu.

Lui-même est le trésor, Source de tout bien. Dieu de lumière.

Il possède toute richesse et son métier c’est de donner, tout ce qu’il est.

Notre Dieu est tout amour et l’amour rend pauvre.
Il n’y a pas plus pauvre que notre Sauveur Jésus-Christ, source de notre vrai bonheur, de notre joie permanente.
Et là nous touchons à la pauvreté la plus vraie.

En pratique, c’est saint Benoît qui nous donne la plus parfaite expression de la pauvreté.

Est pauvre celui qui reçoit et qui attend d’un autre.

Qui n’a rien, et qui n’aura jamais rien.

S’il reçoit, il reçoit avec gratitude, mais il ne se l’approprie pas. Si on lui reprend, il redonne, avec joie.

«ceux qui partiront en voyage, dit saint Benoît recevront du vestiaire leurs tuniques de voyage… et les rendront au retour.

Il veut qu’on retranche le vice de la propriété jusqu’en sa racine.

Notre corps même nous appartient-il ?

N’avoir absolument rien qui ne nous soit donné ou permis.

Cependant, il sera donné à chacun le nécessaire selon son besoin.» [chap 33 – 55 – …]
Cette conception la plus parfaite de la pauvreté se marie très bien à l’humilité qui reconnaît la fragilité de la nature humaine et son insuffisance,
Elle nous invite aussi à une conception très juste de l’obéissance, parce que celui qui obéit reconnaît avec intelligence la pauvreté de son jugement, de son intelligence.
L’opposé de la pauvreté, ce n’est pas la richesse, c’est l’orgueil et la suffisance.
‘ par moi-même, je juge… et par les biens que je possède, par mes dons, j’y arriverai.’
C’est le raisonnement du monde qui ne vise que la richesse pour se protéger et qui a horreur de toute déficience ou frustration.
Et cette suffisance de l’orgueil est soutenue par les richesses matérielles.
Parce que les richesses matérielles créent l’aveuglement – certains diraient la bêtise – de se croire en sécurité et de se suffire.

Il est scandaleux de gaver les enfants de jouets et surtout de comptes en banque. C’est leur inoculer le vice de la propriété.

On a le droit, mais malgré nos auto-justifications d’intention chrétienne qu’on ne se dise pas pauvre, de la pauvreté que demande Jésus-Christ.
Celui qui reçoit, qui reçoit en action de grâce bien sûr, a le cœur fondamentalement pauvre, s’il sait qu’il ne mérite pas de recevoir, que rien ne lui est dû.

 » qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » dit Saint Paul.
Cela ne veut pas dire que la pauvreté est simple et légère. – oui, au Ciel, elle le sera, parce qu’elle ne sera que jouissance d’amour reçu -, mais le don de Dieu, sur terre, a un goût d’absence, et la couleur de l’obscurité, de la foi.
Il a vraiment un goût de pauvreté.

Comment être chrétien si on n’a pas ce goût de pauvreté au fond du cœur ?
La joie de la foi n’enlève rien à la frustration que provoque la pauvreté. Ce goût aride au fond de nous est le signe le plus certain des flots de grâce et d’amour de Dieu.
L’amour est là, et la joie qui l’accompagne, chers frères et sœurs, nous sommes riches de la présence du Christ et de Dieu, mais ça n’empêche qu’il y a un goût aride, amer, souffrant même, de la foi; et l’obscurité du mystère nous rappelle en permanence notre pauvreté.
C’est la grande difficulté qu’il faut tenir lorsque nous avons la foi:
Nous sommes avec notre bonheur, la joie de notre cœur, la présence de Dieu, tout en étant les plus pauvres et les moins bien logés de tous les hommes.
Parce que tout le reste ne nous intéresse pas.
Notre bonheur ne nous appartient pas comme pourrait nous appartenir un bijou ou une voiture de luxe.
Il nous est donné par grâce, par amour.

Pourquoi, j’ai tel don ? Parce qu’il m’est donné. Gratuitement. Il peut m’être retiré.

Évidemment, on ne peut se suffire d’un esprit de pauvreté.
Parce que nous sommes constitués d’un corps charnel.
Nous devons aider notre désir par des choix de pauvreté concrets et matériels.

J’ai vu certaine espèce de pauvres qui avaient tout perdu à l’occasion d’un événement terrible.
Et qui savaient que chaque jour est un sursis de vie gratuitement donné.
Ayant vécu l’extrême, dans le bien ou dans le mal, ceux-là ont expérimenté la puissance divine dans l’amour et dans le pardon.

Ils savent être pauvre. ‘Rien n’est impossible à Dieu.’

 »  bienheureux les pauvres, ceux qui ont tout perdu, les affamés, les persécutés, ceux qui pleurent, les amoureux de Dieu.
Le Royaume des Cieux est à eux. Dieu peut enfin toucher leur coeur. »

Ça on peut le dire pour les chrétiens …  En gros… qui ont une once de foi. (pour les lépreux de l’Evangile, la femme adultère, la maman syro-phénicienne, la Samaritaine, qui ont croisé le Christ…)

Mais il reste une question terrible…

Qu’en est-il de tous les pauvres qui sont loin de la grâce, qui ne connaissent pas la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ ? (

Et tous ces gens qui traînent des pauvretés à moitié finies, mal assumées, mal définies ?

Qu’en est-il des pauvretés enfantées par la misère et tout autant par le luxe ?

Il y a des pauvretés qui sont belles, franches, lumineuses et choisies avec de belles proportions….

La pauvreté du curé d’Ars, de saint Philippe Néri, du Padre Pio ou de saint Antoine de Padoue.  Belles pauvretés…

Et puis il y a des pauvretés qui sont moches, imposées par une éducation tordue, par la maladie, certaines héritées au berceau, d’autres survenues par accident.

Passent-ils à côté du Royaume des Cieux tous ces pauvres ? pour finir en enfer ? C’est là, chers frères et sœurs, que le Christ, par le fait même de leur pauvreté ouvre les portes de miséricorde, s’ils ne lui tournent pas le dos.

Et quand je dis le Christ, c’est l’Eglise.

D’un côté, nous boitons nous-mêmes de toutes nos pauvretés inachevées, un peu minables, mêlées de nos peurs et reculades.

Et nous devons en rendre grâce cependant, et les assumer dans la foi.

D’un autre côté, nous portons par notre prière et notre foi, les casseroles, les injustices et toutes les larmes de nos frères pauvres, depuis l’homme des cavernes jusqu’à celui qui sort de sa Tesla automatique.

Les choisis de Dieu portent toutes ces pauvretés cachées derrière la richesse, jusques sur la Croix.

Et nous savons, pour tous ces demis-pauvres, car eux ne le savent pas, que ce sera à l’endroit où ils auront pleuré, porté par notre prière et nos souffrances, qu’ils riront.

Et que leurs désirs de beauté, du Ciel, restés enfouis, très profonds, seront illuminés dans la lumière du Christ ressuscité, communiquée par la communion des saints.

C’est notre mission pour porter discrètement le monde à son accomplissement.