Je vais commencer par un dialogue écrit par Soljenitsyne dans son énorme fresque de la Révolution bolchevique : le premier volume : ‘Août 14’ …
‘ Le vieux Varsonofiev secoua longuement sa longue tête verticale et dit à Sania : «L’Histoire… ce n’est pas la raison qui la dirige !
l’Histoire est irrationnelle, jeune homme.
D’une certaine façon, l’Histoire est un fleuve .
Elle a ses lois qui régissent le cours, les méandres, les tourbillons.
(…) Sania posa sa main sur la manche de Varsonofiev et lui demande :
Mais les lois du courant, où doit-on les chercher ?
– Énigme. Peut-être sont-elles tout à fait hors d’atteinte pour nous.
(…) en tout cas pas à la surface, là où ira picorer la première tête chaude venue. Là, Soljenitsyne parlait des révolutionnaires qui croyaient donner un sens à l’Histoire, qui croyaient orienter l’Histoire…. !
Alors Varsonofiev leva son gros doigt comme un cierge et il ajouta :
« Et si on les cherchait ses causes, dans le Dessein de la Création. Et dans la destinée de l’homme. »
De toute chose, frères et sœurs, nous pouvons avoir une compréhension à des niveaux différents.
Ça veut dire, que chacun de nous, devant une situation, une chose, une personne, nous pouvons la comprendre avec des lunettes différentes. En musique, on dirait ‘dans une gamme’ qui nous est personnelle, presque unique.
Nous pouvons voir une chose ou une personne, selon ses apparences; nous pouvons la voir selon son utilité;
ou selon sa valeur, sa pureté d’existence;
nous pouvons la voir dans son histoire, dans son évolution,
ses promesses d’amour, de bonté ou de beauté;
nous pouvons la voir selon le message qu’elle porte;
nous pouvons la voir dans la lumière qui en est la source…
Chaque regard que nous portons sur elle tient de notre lumière intérieure.
Vous voyez, frères et sœurs, combien est riche notre saisie de la réalité. C’est pour cela aussi qu’il est si difficile de s’entendre.
Hé bien… ce que je viens de dire, cela est applicable aussi à l’histoire. L’histoire de nous-même, de notre voisin, où l’histoire d’une civilisation.
Seulement il y a des constances
Plus on plonge au cœur de l’existence, de l’existence des choses et des êtres, plus on découvre en même temps la Lumière Créatrice et la vérité de ces choses et de ces êtres.
Et plus alors on entre en communion profonde avec elles.
Quand Sainte Mère Térésa approchait d’un lépreux, elle voyait le cœur d‘un homme blessé, et elle voyait Jésus qui habitait le cœur de cet homme blessé.
Et le regard de Mère Térésa était porteur de vie.
Au contraire, plus on atteint les choses et les personnes, les événements, dans leurs aspects, passagers, émotionnels, ou d’intérêts, plus alors on a une explication limitée et particulière qui nourrit nos malaises et nos révoltes.
Aujourd’hui, nous avons une illustration très lumineuse de cette approche au cœur de la réalité.
Dans chacun des textes de notre messe.
Premier texte. Le deuxième livre des Chroniques.
Il expose un moment terrible de l’histoire du peuple juif.
Les familles juives ont été démantelées, déracinées, exilées, par les armées puissantes commandées par le roi de Babylone.
On pourrait dire que c’est normal.
Israël est un petit pays, et de toute façon il ne pouvait pas tenir le choc devant la masse guerrière de l’Empire Babylonien.
Et puis 70 ans plus tard la roue tourne, Babylone est vaincue par Cyrus, le Perse, qui lui-même est plus fort.
Et Cyrus libère les Juifs qui retournent chez eux.
On peut très bien donner cette explication de l’histoire.
C’est juste et c’est un bon devoir d’écolier.
Mais la Bible nous dit que l’histoire est chargée d’une autre lumière.
L’Histoire est chargée d’un sens moral.
Et la Bible fait le lien entre ce sens moral et le déroulement des événements.
Le sens moral, dit-elle – et elle le dit par la voix des prophètes généralement -, le sens moral, c’est que, à une infidélité, un dérèglement de la conscience, répond nécessairement un déséquilibre du corps tout entier.
Ce corps ce peut être une société, une civilisation, un petit groupe ou même une personne, bien sûr.
La perte du sens moral équivaut à une maladie de l’âme qui rend malade le corps, et qui l’affaiblit contre les attaques extérieures.
C’est pour cela que Jésus dira que celui qui croit dans le Fils de l’homme, celui qui est baptisé chrétien, pourra prendre des serpents dans ses mains sans être inquiété, il pourra boire du poison qui ne lui fera rien.
Parce que le premier principe de la santé c’est celui de notre âme, celui de notre intelligence morale, celui d’une vie intérieure saine et forte.
Israël était parti dans du n’importe quoi, dans des compromissions immorales, dans l’oubli de Dieu, dans des conduites uniquement d’intérêts.
Il était normal, non pas que Dieu se venge – et pourtant c’est ainsi que ça va être ressenti – mais que la nature se venge par la destruction de ce corps malade.
Et cette destruction elle est venue par Babylone.
Par un pays qui n’était pas édifiant, mais qui a servi d’instrument pour éliminer la dégénérescence.
Parce que Israël était le peuple choisi et que Israël se devait d’être porteur de la grâce divine.
Mais c’est dans sa vocation d’être fidèle à la grâce. Comme pour chacun de nous d’ailleurs.
Vous voyez frères et sœurs, comment l’histoire biblique nous donne une autre lumière sur les événements.
La lecture de la Bible nous mène à l’infini, jusqu’au mystère.
L’interprétation de cette période de l’exil à Babylone, peut facilement avoir une projection sur l’histoire politique de tous les temps.
Une politique qui ne reçoit pas ces valeurs morales du Christ, et pour nous maintenant de l’Eglise, qui est le Corps du Christ, devient une politique qui part à la dérive.
Une politique seule ne peut pas trancher sur les valeurs fondamentales. Inévitablement, elle suit des idéologies particulières qui la mènent à l’erreur. Au relativisme.
Seule, l’Église du Christ, je dirais même l’Église catholique, peut donner la lumière immuable qui promet l’équilibre de la nature humaine.
Il y a une hiérarchie de compréhension.
Un citoyen doit recevoir et respecter les règles morales de la société.
Si… bien sûr… cette société reçoit les principes moraux en accord avec la nature humaine. Et c’est l’Église qui les garantit.
Qui les garantit pourquoi ?
Parce qu’elle les tient de l’Esprit Saint, de Jésus, du Dieu créateur.
Une loi qui permet le meurtre est un Loi inique.
Et l’Eglise a la lumière supérieure pour dire si telle ou telle politique est dans l’erreur.
Mais le message de Dieu peut atteindre une autre épaisseur du mystère.
Pour nous, par exemple.
Et c’est le sens du Carême.
Plus je vais être fidèle à Dieu, plus je vais ouvrir mon cœur aux flots de l’amour divin, plus mon âme sera lumineuse de l’Esprit Saint, et plus alors je serai dans une harmonie de corps et d’esprit.
Contre vents et marées contraires.
Et là je peux rebondir sur l’Évangile.
Le jugement dit Jésus ‘n’intéresse’ entre guillemets… que ceux qui sont à côté de la plaque.
Et il est bien vrai que c’est celui qui est en faute qui se culpabilise.
Comme malgré lui.
Notre conscience se trouve bien quand elle est pure.
Et se révolte contre tout ce qui bouge quand elle est désaccordée.
Il n’est pas étonnant de voir que ceux qui font le plus de bruit et de remue- ménage sont ceux qui sont mal avec leur conscience.
Le diable ne peut pas se tenir tranquille.
Jésus dit que « le mal déteste la lumière ».
Mais il ne faut pas s’imaginer le mal dans une sorte de recoin sombre qui pleure sur lui-même.
Le mal est toujours en agression de la lumière.
Parce que le mal essaye toujours de récupérer le mal par un autre mal.
Et cependant, – quelle joie ! – la lumière divine, qui engendre la paix, pénètre et traverse, insaisissable, les ténèbres irritées.
Et les hommes continuent tant bien que mal d’analyser les contingences.
Ce qui ne les aide qu’à prolonger le mal.
C’est pour ça que je répète qu’il est inutile de se gaver d’informations.
Elle ne donnent pas la lumière explicative du chrétien.
» celui qui croit échappe au Jugement » dit Jésus.
C’est par la foi, nue, que nous pouvons nous réfugier dans le cœur de Dieu qui nous donne toute vérité, par grâce.
Et je ne voudrais pas terminer sans vénérer Saint Paul.
Son génie plonge dans la surabondance de vérité dont il a reçu la mission d’annoncer.
Nous sommes ressuscités, frères et sœurs, et c’est ce qui fait la joie de ce dimanche.
Nous sommes ressuscités.
Déjà, là… aujourd’hui, dans cette messe.
Déjà, depuis notre baptême.
Nous avons la lumière du Christ qui guérit, nourrit notre âme de la vie éternelle. Et c’est cela, la résurrection.
Nous n’en mesurons peut-être pas la grandeur et la jouissance, mais par grâce nous sommes sauvés.
C’est par grâce que je peux vous annoncer la lumière du Christ.
Et Saint Paul ne se lasse pas d’enfoncer le clou lumineux.
C’est par grâce que nous avons la vie, la vie de notre âme.
Et ça, c’est un trésor que nous ne mesurons pas assez.
Il y a tant de morts-vivants qui courent les rues.
Par la foi, nous sommes des vivants-vivants.
Par la foi, nous sommes ressuscités dans un monde de ténèbres.
Par la foi, nous sommes près du Cœur du Christ.
Et je reprends Saint-Paul, parce que je ne peux pas dire mieux que lui.
» On ne peut pas en tirer orgueil, mais on a déjà notre place dans les Cieux. On a déjà part à la richesse surabondante de la grâce de Dieu ».
Et qu’est-ce qui pèse à côté de cela ? : Rien.
Car on atteint la grandeur de notre âme pour laquelle elle est faite.
Vérité totale par Jésus-Christ. Dans son amour.
Nous sommes, chers frères et sœurs, dans une joie qui passe très profond à travers l’effondrement des planètes et des ténèbres.