Richard Wurmbrand, frères et sœurs,
… Vous connaissez ?
C’est un pasteur protestant Roumain qui a vécu 14 ans dans les prisons communistes. Voici un de ses témoignages émouvants :
« Je passai deux années consécutives isolé dans une cellule. Je n’avais rien à lire, rien pour écrire. J’avais mes pensées pour seule compagnie. Or j’étais un homme d’action, plus qu’un contemplatif.
J’avais Dieu. Mais avais-je vraiment vécu pour servir Dieu, ou simplement exercé une profession de prédicateur ?
(…) Croyais-je en Dieu ? L’heure de vérité avait sonné. J’étais seul. Il n’y avait pas de salaire à gagner, pas d’avis précieux à prendre en considération. Dieu ne m’offrait que la souffrance : allais-je continuer à l’aimer ?
… Au début je priais ardemment pour être libéré. (…)
J’appris peu à peu que sur l’arbre du silence pousse le fruit de la paix . Je commençais à prendre conscience de ma vraie personnalité, et à être sûr qu’elle appartenait au Christ (…) Je savais à présent que je ne jouais pas la comédie et que je croyais ce que je croyais. [Mes prisons avec Dieu… p 50-51]
Et je pourrais retrouver des dizaines de témoignages similaires chez de grands croyants ou de grands amoureux de la Vérité, et même ce cri des profondeurs chez certains éloignés de la foi qui ont vécu l’expérience extrême.
Soljenitsyne par exemple, géant de la fidélité à sa conscience.
Après la saisie d’un de ses livres par le KGB, ce qui lui promettait une nouvelle fois d’être déporté au Goulag :
« Il y a des minutes où faiblit et se brouille notre raison. Où l’excessive prévoyance se change en l’aveuglement le plus grossier, le calcul en désarroi, la volonté en aboulie ( sans ce genre d’échecs, ajoute-t-il, nous ne connaîtrions pas nos limites). Et Soljenitsyne quelques proverbes russes qui l’aident à survivre :
« la peur en a tué un, elle a ressuscité l’autre »
et celui ci, aussi : « ce n’est pas le chagrin qui te fera passer la mer »
[Le Chêne et le veau p 104 ; 117]
Ce sont des prédestinés direz-vous, des surhommes …
Hé bien je prends Joe Bonanno… Ça vous dit peut-être rien… Alias Joe Bananas, Parrain de la mafia sicilienne à 26 ans, c’est vous dire comme il était recommandable. Homme d’honneur, se nomme-t-il, mais pas enfant de chœur. Dans les années 30-40.
Il raconte quand il s’est retrouvé les yeux bandés, dans une voiture qui semblait le conduire à la mort dans un terrain vague :
« Mes ravisseurs se taisaient. Seul le crissement des pneus sur la chaussée détrempée rythmait mes pensées.
J ‘essayais de me détendre. La chose la plus difficile, pour un homme qui est pris au piège, est de ne pas céder à la panique. S’il tente de résister, l’étau se resserre. S’il parvient à rester calme, il peut utiliser la seule liberté qui ne puisse lui être enlever : la liberté de penser. ( j’aurais plutôt dit : la liberté de prier, qui va encore au-delà de celle de penser. Mais bon….)
Il continue – et c’est là que ce me semble le plus intéressant – :
« quand nous sommes pris dans la tourmente, nous réalisons que nous n’avons jamais rien dominé, ni les êtres, ni les choses, que nous n’avons jamais eu d’empire que sur nous-même, (j’ajouterais : … et encore …) »
[Un homme d’honneur – p 177]
Chers frères et sœurs, vous êtes vous réveillé une nuit, avec l’angoisse au ventre, à 2h du matin, avec un grand sentiment d’impuissance, d’incompréhension ou d’échec ?
Comme Saint-Antoine d’Égypte, débordé de tentations multiples, dans ses premiers temps de vie d’ermite.
Vous êtes vous réveillé à la frontière de vos limites ?
À la frontière, ça veut dire soit du côté où elle n’est pas franchie, mais vous avez déjà une roue dans le ravin.
Ça peut vouloir dire aussi que vous êtes passé au feu rouge, que vous avez passé la ligne de non-retour, que vous venez déjà de faire plusieurs tonneaux et que vous êtes mal en point.
Or là, je pêche une réflexion d’un Père Dominicain, le Père Molinié :
« Les amis de Dieu, ceux qui prient, écrit-il, expérimentent dans leur propre cœur les ténèbres qui nous séparent de Dieu et leur grande tentation, comme l’avouait le Saint Curé d’Ars, n’est pas la complaisance, mais le désespoir. Ainsi, ils sont de niveau avec les détresses les plus extrêmes, celles où personne ne peut plus rien faire et qui ont franchi le seuil d’une sorte de monastère de la souffrance : camps de concentration, folie, enfants martyrs, agonisants… sans parler des déchirements invisibles auxquels les hommes qui courent ne peuvent prêter attention.
Comment est-ce possible de vivre jusques-là ? Précisément à cause de leur union à Dieu, du silence, de l’amour et de la joie. Le silence, en écoutant Dieu, peut écouter le monde mieux que le monde ne s’écoute lui-même et découvrir les seuls cris qui méritent d’être entendus, c’est à dire ceux qui sont vrais.
La prière peut écouter les détresses sans fond parce qu’elle écoute la joie de Dieu qui est sans fond. [Le courage d’avoir peur p 161-162]
Et là on peut aisément prendre Saint-Jean-de-la-Croix qui a traduit son expérience par des petites paroles définitives comme celle-ci :
« Ne mets jamais ta jouissance en ce que tu comprends de Dieu, mets-la en ce que tu ne peux pas comprendre ; (…) C’est ce qui s’appelle le chercher par la foi. »
[Cantique spirituel II – st 1]
Et on comprend que le Christ se rétracte devant ses amis de Nazareth qui sont à l’affût de miracles…
La foi, c’est de savoir, quand les nerfs sont à leur limite, quand il y a autour de nous ce silence de solitude âpre, quand le monde entier et le ciel de notre âme deviennent de plomb…
… la foi nue, c’est-à-dire pure, essentielle, c’est de dire, à ce moment-là : ‘Merci mon Dieu… Merci mon Dieu, parce que si je suis comme ça, en cet instant, perdu et impuissant, c’est que tu es en train de me travailler, et que je suis dans tes bras. Et que tu es en train de me donner ta grâce.’
Je ne sais pas comment, ça craque aux jointures de mes os, la tentation de compenser par quelque déviation se fait vive…
La foi, à cet instant-là, c’est de rester en murmurant une prière dans le genre : » tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas »
(C’est la phrase préférée du Starets Silouane)
La foi c’est de croire que Dieu fait sa meilleure œuvre… à ce moment-là ! Pas au moment suivant, au moment de la délivrance.
Dieu fait sa meilleure œuvre juste avant… qu’on touche le fond.
Et la grâce ne paraîtra que un quart d’heure plus tard, ce quart d’heure qui peut durer 5 ans, 10 ans, pendant lequel nous aurons les deux omoplates dans la poussière. ( les mauvais quart d’heure de Dieu peuvent être très longs….)
Pendant lequel nous serons perdu.
Il y a les grâces lumineuses de résurrection.
Et il y a la grâce ténébreuse..
La plus belle et la plus véritable, qui se cache dans la souffrance de l’abandon. C’est le cri confiant vers le Christ Sauveur, mais qui n’apparaît pas, quand tout est raté dans le moment de l’épreuve.
Jean Cocteau écrit :
«Il y a les poèmes clairs. Ils sont cristal.
Et il y a les poèmes obscurs. Comme des diamants noirs. Les gens admirent les premiers et condamnent les autres.
Or, c’est la pureté et le rayon spirituel qui les traversent qu’il aurait fallu regarder pour juger’ [Correspondance p 343]
On peut en dire autant de la grâce divine .
Il y a la grâce de la foi ouverte à l’enseignement et au miracle. C’est le poème lumineux.
Mais attention… cette grâce est véridique si notre cœur a chanté le poème obscur, si notre âme est passé par le ravin de la mort qui a creusé notre amour.
Et Jésus ne trouve pas cette compréhension chez ses amis de Nazareth.
Frères et sœurs, il est douteux de suivre quelqu’un qui vous parle de miracles, de visions extraordinaires ou d’adorations sublimes, s’il n’a pas signé son passage par l’épreuve de l’obscurité et du désespoir.
S’il ne boîte pas de l’épreuve du combat de Jacob dans la nuit, avec Dieu.
Ou du traumatisme d’Isaac offert en sacrifice par son père.
La véritable vertu de foi, théologale, elle est là, dans cette signature du passage des ténèbres.
Ensuite Dieu fera miracle lumineux, s’il le désire.