Je ne sais pas si vous vous rendez compte, frères et sœurs, que nous sommes des Martiens…
Vous venez d’écouter tranquillement les quatre textes de la messe d’aujourd’hui, et vous n’avez pas trop l’air surpris…
Ce n’est pas qu’aujourd’hui bien sûr… c’est à chaque fois que vous rentrez dans cette église pour une messe.
Mais, aujourd’hui, c’est flagrant.
Il y a un monde dehors.
Il y a un monde ici.
Et le monde d’ici ne correspond que si peu au monde de dehors.
À chaque fois que nous rentrons dans l’église nous favorisons une guerre : La Guerre des mondes…
Si l’un ou l’une de vous n’est pas guerrier, n’est pas martien, il y a quelque chose que vous ne devez pas comprendre dans l’Eucharistie.
Commençons par Jésus :
Il juge les riches et les pauvres.
Les riches dit-il, ne sont pas capables de choix radicaux.
Ils donnent gros, mais ce qu’il leur reste n’est pas maigre.
Ils n’engagent pas tout leur cœur dans leur relation à Dieu.
Et non seulement ils en gardent au niveau de leur bourse, mais ils en gardent au niveau de leur honneur, de leur reconnaissance, de leur réputation, du regard des autres et de leur influence.
Encore cela… notre monde le repère assez facilement.
Mais voilà qu’on se définit clairement en martien quand Jésus s’intéresse à cette pauvre veuve.
Et là, la guerre va commencer.
Jésus fait louange de cette pauvresse qui donne tout ce qu’elle avait pour vivre. Vous vous rendez bien compte, frères et sœurs, que cette logique de Jésus est inadmissible dans notre monde.
Notre monde est le monde des assurances et des garanties, le monde du ‘pas de vague’, pas de risque, pas d’absolu.
Jésus encourage à liquider, non pas notre superflu, mais notre essentiel. Aujourd’hui ce sont deux piécettes.
Il y a 2 jours, il évoquait le détachement radical affectif.
‘ celui qui n’est pas capable de quitter, père, mère, enfant, frère et sœur, épouse, maison et champs, bœuf et chèvre, chien et bière, n’est pas capable d’être martien.. ‘
Le monde, l’esprit du monde ne peut pas accepter le risque.
Principe de précaution…
Comme il ne reconnaît pas Dieu, il place dans une même catégorie l’imprudent qui met sa famille en danger, ou lui-même, et l’homme de foi, l’homme ou la femme qui mettent leur espérance en la divine Providence.
Il ne s’agit pas de tenter Dieu, il s’agit de se donner à lui.
Le monde est mal à l’aise et il n’accepte pas l’inconfort de la foi.
Il n’accepte pas, ça veut dire qu’il entre en guerre contre ceux qui osent jouer le jeu de l’amour et de la Providence.
Mais prenons la première lecture avec Élie qui rencontre cet autre veuve, pendant une période de famine, dans un pays incertain, qui est l’actuel Liban.
Un prophète, et une femme dont le frigo est vide.
Élie lui demande de tout lui donner…
Rencontre tellement simple. Rencontre au milieu des champs.
« Donne-moi de l’eau. » Et elle puise.
« Donne-moi à manger. »
Et elle donne.
Parce qu’elle a la foi.
Et pourtant, elle n’est pas juive, mais de très loin, dans un acte de résignation, elle reconnaît en Elie, un prophète.
Et ça, le monde ne le supporte pas.
Cette rencontre de Élie et de la veuve de Sarepta n’a rien d’idéologique.
Elle ouvre la porte de la foi, de la vie et de la mort, son cœur donné.
Nous sommes tellement pollués par le bruit, par les histoires, que le langage des Martiens nous fait sourire.
On est content de lire :
« Cuis-moi une petite galette avec ta dernière poignée de farine, et apporte la moi ! »
Mais on l’écoute comme on regarde un tableau dans un musée.
Très bien, c’est bien rendu. c’est simple.
Et alors….?
« Ce sont des rencontres des temps anciens. », dit-on.
Parfois, j’entends répliquer que c’est pour d’autres vocations.
Il y aurait des vocations de demie-foi et des vocations au choix absolu. Il y a des vocations d’amour à moitié….
Vous savez frères et sœurs, quand on veut éviter à tout prix l’éventualité d’une conversion, on dit : ‘ ce n’est pas pour moi…
Ça ne me concerne pas. C’est une approche moyenâgeuse.’
Au lieu, tout simplement, de reconnaître que l’on n’est pas capable de vivre une relation simple, sans y mettre de la méfiance.
Que l’on n’est pas capable de vivre une certaine radicalité de choix dans l’amour et dans la foi.
Et puis vient la lettre aux Hébreux…
Que nous suivons depuis quelques dimanches.
Alors là, elle parle du sacrifice du Christ ! et d’un mystérieux pardon des péchés. Mais c’est vraiment d’un autre monde.
Un homme qui souffre jusqu’à donner son sang pour apporter le pardon.
Le monde ne reconnaît pas le péché, il ne veut pas le reconnaître parce qu’il ne sait pas quoi en faire.
Oui, il admet qu’il y a de la souffrance ( tout simplement parce que ça fait mal), mais c’est encore pour se retourner contre Dieu !
Parce qu’il ne sait pas guérir le mal, sinon par la punition.
Ou par un principe de précaution qui filtre le moucheron et laisse passer le chameau.
Dieu guérit le mal par l’amour.
C’est ce que les pharisiens reprochaient à Jésus.
Ils lui reprochaient de pardonner les péchés et d’aimer le pécheur.
Une vie évangélique provoque l’esprit du monde sur deux terrains de combat. Sur la confiance en Dieu et la prise de risque.
Et sur la toute-puissance de l’amour pour vaincre le mal.
La foi et la charité énervent le monde qui ne peut les tolérer.
Jacques Maritain écrit dans son dernier livre :
«le monde ne peut rien comprendre aux vertus théologales.
La foi théologale, le monde la voit comme un défi, une insulte et une menace. C’est à cause de leur foi qu’il tient en aversion les chrétiens, et c’est par leur foi qu’ils vainquent.
L’espérance théologale, le monde ne peut pas la voir du tout.
La charité théologale, le monde la voit comme elle n’est pas; il la comprend de travers. Il la confond avec n’importe quel dévouement généreux. »
[Le paysan de la Garonne p 97 ]
La tactique du monde est très rudimentaire pour contrer l’Église.
L’esprit du monde cherche le défaut, il y a toujours défaut, même chez les saints. Le monde va montrer du doigt les défauts inévitables des hommes de foi, de certains hommes de foi, pour assimiler la foi et la charité à des sources maléfiques.
Et pour en fin de compte affirmer que ce qu’il y a de plus beau dans l’homme, ses pures dimensions spirituelles, d’amour et de foi, c’est ce qu’il y a de plus dangereux et de plus néfaste.
Le grand inconvénient, ce ne sont pas ces accusations du monde contre l’Église, ( qui sont en fait contre Dieu), le grand inconvénient c’est que les chrétiens y prêtent l’oreille et trempent leur foi dans l’esprit pollué du monde.
Les chrétiens ouvrent leurs portes et apportent dans l’Église les arguments détrempés de la culture de mort qui est favorisée dans le monde.
On se dit chrétien et on collabore avec un tout autre esprit, en mettant sa foi dans le monde. On s’agenouille devant le monde et ses déviations en légions.
Le monde du confort, de la tiédeur, de la distraction, de la recherche de richesses, d’assurances matérielles et du crédit, le monde de la lâcheté devant la vérité.
Peur du risque.
Tout simplement, manque de la présence et de la crainte de Dieu.
« Les saints sont des guerriers qui n’ont pas peur d’être martiens parmi la foule des soumis au monde.
Et leurs armes, c’est de tout donner, tout abandonner : le mal, bien sûr, et l’univers des mensonges, mais le bien aussi, la douceur et le confort, et avant tout eux-mêmes, pour être libres avec Dieu.
Complètements dépouillés, ils brûlent et deviennent étrangers .
Ils sont tombés amoureux mais personne ne comprend leur amour qui leur font traverser les déserts de solitude, enivrés de joie.
Ils ont visage de pauvre veuve, de clochard, d’impuissant, de victime, de martien que l’on cherche à ligoter.
On les traitent de dérangés parce qu’ils dérangent nos rêves et nos conforts.