VINGT SIXIEME DIMANCHE ORDINAIRE 2025
« j’ai cinq frères. Que Lazare aille leur parler…»
Il aurait pu dire : « Permet moi Père Abraham que j’aille parler à mes frères !»
Dans le tragique, il y a comme une note d’humour.
Allez parler à ses frères, … la honte ..il vaut mieux passer par un autre…!
Mais en fait, la question n’est pas là.
La question c’est Abraham qui le pose. La vraie.
Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !
Elle est où la question ? en fait, tout le propos de Jésus.
Elle est : «qu’ils les écoutent !»
L’attitude d’écoute…
Qu’est ce qui fait la valeur de quelqu’un ?
Comment capter la profondeur de cœur d’une personne ?
Ce n’est pas en fait par ses paroles.
En tout cas, pas en premier lieu.
C’est par son écoute.
D’abord il faut s’entendre sur ce mot précieux : l’écoute…
On peut le prendre à sa surface : ‘je t’écoute, beau merle !’… ou bien l’institutrice en manque d’autorité qui crie à toute la classe agitée : ‘écoutez-moi un peu !
Il y a des mots comme cela, dont on peut effleurer l’écorce ou bien plonger dans la
densité : connaître, aimer, communier…etc…
ha oui, celui-là je le connais… c’est celui que je croise tous les jours en allant au travail
j’aime bien prendre mon petit café avec les copains’.. Mais Abraham ne parle pas à la surface des choses. D’ailleurs, il insiste: « s’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes ils ne capteront même pas un ressuscité qui passe devant leur yeux. »
Alors plongeons là où l’homme devient homme, où il perçoit son cœur qui bat et la joie
de son âme. Écouter … « Bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent.»
Écouter, ce n’est pas encore entendre. Ce n’est pas non plus comprendre. Ca, ça vient après, quelquefois longtemps après.
Écouter c’est être en disposition favorable d’accueil.
Plus que ça, écouter c’est être en sympathie avec les personnes ou les événements. (On ne peut pas écouter quand on est en position de jugement.)
Je dirais même, c’est être en compassion avec le cœur de celui qui nous délivre un message. Être ajuster, dans notre réception, à son cœur.
Et cette compassion, elle est très difficile, car elle tient de l’amour qui irrigue notre
âme. Et donc elle tient de notre silence intérieur, là où le silence est fruit d’un amour profond. Reçu et reconnu. Quand Abraham préconise l’écoute des prophètes et de Moïse, il entend par là une certaine complaisance amoureuse pour ces hommes de foi. Vous savez, frères et sœurs, cette reconnaissance filiale et familiale. Moïse, c’est ma famille. Les Prophètes, les hommes de Dieu, ce sont mes frères, ce sont mes pères, qui m’appellent aux désirs profonds de mon cœur. Ou disons, je veux être dans la lumière qui émane de leurs lèvres. On ne peut pas être un artiste si on ne tremble pas des frémissements secrets de la
nuit ou d’un rayon de soleil. L’artiste, celui dont le sang est artiste, par prédestination, celui-là sait écouter. Paul Eluard écrit dans l’un de ses poèmes ( Défense de savoir):
‘ Les astres sont dans l’eau. La Beauté n’a plus d’ombres.’ Voilà l’écoute !
Mais tous les poètes :
Van Gogh : « Exprimer l’espérance par quelque étoile. L’ardeur d’un être par un
rayonnement de soleil couchant. » (lettre à Théo, son frère, 1888)
Ou Jules Supervielle : « je ne vais pas toujours seul au fond de moi-même
Et j’entraîne avec moi plus d’un être vivant (…)
J’entasse dans ma nuit, comme un vaisseau qui sombre, Pèle-Mêle, les passagers et les marins, Et j’éteins la lumière aux yeux, dans les cabines. Je me fais des amis des grandes profondeurs.» (Un poète)
Voila les immenses écoutants ! les veilleurs… de vie. Mais il ya mieux… Il y a celui qui écoute, qui va jusqu’au chemin perdu. Celui ou celle qui a laissé le Saint Esprit être l’oreille de son cœur
« En ce lieu, vous me montrerez
Tout ce que prétendait mon âme. O vie ! vous me donnerez
Ce pourquoi mon cœur vous réclame ;
Et que déjà d’un pur amour
Vous me donnâtes l’autre jour.’ (Cantique spirituel de Jean de la Croix)
Évidemment que si les 5 frères du riche avaient écouté avec l’oreille du Saint Esprit, ils auraient joué sur les cordes de la Vie éternelle et ouvert les portes de leur
paradis.
Lazare avait cette poésie cachée derrière ses ulcères et le vide de son ventre. Le portail devant lequel il était formait une frontière pour le riche. Et si ce riche ne pouvait voir et écouter au delà, comment aurait-il pu faire pour écouter le pauvre cœur d’un pauvre
Comment aurait-il pu avoir les paroles de celui qui voit et écoute ?
Comment aurait-il pu goûter aux vibrations du Saint Esprit ?
Il ne pouvait pas reconnaître l’expérience du paradis.
Mais, comme disait l’autre : ‘si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé ’