Espérance et passé
Nous retrouvons régulièrement ces textes lors des obsèques de nos proches. Mais tout aussi régulièrement, nous les retournons dans le souvenir de ceux qui sont partis. C’est normal, quand on vient de perdre quelqu’un notre regard est happé par le passé, par la mémoire, par nos impressions encore vives. Mais ce n’est pas la perfection d’un regard chrétien. Plutôt que de vouloir retenir nos défunts, notre foi nous invite à vouloir les rejoindre. Cela je ne le dis pas à chaque fois dans mes homélies de funérailles… En tant que chrétiens nous sommes enfants d’espérance. Et notre espérance elle est devant nous. Notre espérance c’est que Dieu nous invite… À sa plénitude de présence : beauté à
venir, amour à venir, symphonie à venir de l’Église glorieuse. Où serais-je dans cette symphonie ?
Je n’aurai de réponse que lorsque je présenterai mon ticket. Mais je pourrai goûter la musique de Saint Jean, celle de saint Paul, des apôtres, et
celle de Marie Madeleine et de tous les amis de Dieu, les grands et les petits saints, peut-être de ceux que j’ai connus, avec la Vierge, 1 nitout près du chef
d’orchestre. La Vierge Marie en soliste, parce que personne ne peut être de son niveau. Et pourquoi sommes-nous si frileux, nous, chrétiens catholiques, pour ne pas être joyeux lors des obsèques ?
En fait il y a deux raisons. Parce que d’abord nous sommes trop engagés dans notre histoire sensible. C’est normal, nous passons 50, 70, 90 ans à nous débattre dans notre histoire sensible, pour notre place dans la société, pour nos enfants tellement présents, pour régler nos dysfonctionnements si nuls et si envahissants et pour nous réjouir de quelques aventures qui nous semblent héroïques… Donc, il est normal que nous prenions tous ces événements, même les plus purs ou les plus lumineux, par le côté de notre histoire charnelle et affective, de nos combats et de nos joies terrestres. Ça c’est la première raison pour laquelle nous abordons la mort avec maladresse. Et la deuxième raison qui freine et fait dévier notre joie lors des obsèques, c’est
que inévitablement, nos défunts n’étaient pas parfaits, et la mort réveille en nous les blessures qui ne sont pas encore guéries. Celles qui n’ont pas été lavées par le pardon, celle qui n’ont pas été transfigurées
par une résurrection. Nous sommes lourds de notre chair et de nos défauts. En fait, si nous sommes tristes lors des obsèques c’est parce que nous n’avons pas réglé nos problèmes. Nous sommes attachés à notre chair qui pourtant nous crée tellement de difficultés. C’est parce que nous ne sommes pas morts à nous-mêmes pour vivre dans la lumière du Christ. C’est parce que nous ne savons pas aimer d’un amour de lumière. C’est parce que nous n’avons pas encore vécu la Pentecôte. Les apôtres ont été tristes jusqu’à la Pentecôte. Ensuite leur regard s’est fixé définitivement sur l’espérance de vivre le Christ
ressuscité. Le monde se retourne sur le passé parce qu’il n’a pas d’avenir. Le monde est toujours en train d’essayer de récupérer le passé. Or l’avenir du monde est toujours un dépassement du passé. Si l’on reste accroché au passé nous ne sommes pas dans un mouvement de
croissance et de vie. Or, notre espérance de chrétien n’est pas du tout selon cette vision. L’espérance du chrétien c’est de préparer dans le présent la Transfiguration à venir. Et vous voyez, chers frères et sœurs, que le passé pour le chrétien, il est mort. Dans notre aujourd’hui, dans la joie de notre aujourd’hui, nous voulons goûter à la
plénitude de demain. Et cette plénitude de demain, dans la joie d’aujourd’hui, elle soigne le passé. Par le fait même que notre regard est fixé sur le Christ ressuscité et sur l’Église glorieuse, notre passé, nos expériences, nos défauts, nos péchés, et même nos ancêtres, et tous ceux qui nous rappellent le passé, disparaissent dans la lumière de la grâce. Pour un chrétien, le passé c’est un présent qui n’existe plus. Ou plutôt, le passé n’est fécond que quand il nourrit harmonieusement, comme en
cachette, notre présent. Et s’il nous fait mal, il doit être guérit, par la foi et le pardon. Il est comme un décor que l’on ne voit pas. Mais c’est le présent qui nous intéresse. C’est le présent parce que le présent porte l’avant-goût de notre plénitude au ciel. Ce qui m’intéresse, là maintenant, c’est la vie éternelle qui est dans le Christ Jésus. Et tous mes morts – ceux que j’ai connus – et tous mes morts – ceux qui sont encore là et que j’ai oubliés – et toutes mes morts, c’est à dire tout mon passé, je ne veux en entendre parler que dans la lumière du Christ mon Sauveur. Le passé, comme disait quelqu’un, on ne peut que l’énumérer. Comme une série de nombres. Le présent, il n’est vraiment présent que quand il est habité par une étincelle de notre avenir. Et notre avenir enrichit notre présent par son attente lumineuse. Bien sûr, quand on est chrétien. Sinon, sans la foi, on est enlacé dans notre passé. on se débat avec notre pauvre
présent embrouillé. Et l’avenir devient la tristesse d’avoir perdu le passé. Faites toutes les applications de cette vision à ce que vous voulez. Il y a une vision chrétienne et il y a toutes les autres visions qui sont plutôt des
obscurités. Par exemple, aucune analyse ou psychanalyse.. ne peut résoudre une vie. Puisque seul l’amour d’un à venir donnera guérison à notre cœur. Une analyse ne résout rien si elle n’est subordonnée à un amour qui nous promet
une élévation. Le Christ n’a jamais parlé du passé, sinon pour dire qu’il accomplissait tout ce qui était annoncé. Il ne dit pas ‘dans le temps’… ‘de mon temps…! ‘ . Mais le Christ parle de son Jour, qu’Abraham a vu, et qui est la révélation de la lumière divine, éternelle, inscrit dans le premier jour du monde. ‘Par lui, tout a été fait.’ Nous vivrons le Christ, nous vivrons la joie de notre foi, quand notre amour nous aura transporté dans l’Éternel présent de la vie éternelle, à venir. La vie éternelle récapitule, au delà de notre histoire passée, au delà de notre présent, et du temps à venir, l’harmonie de notre bonheur. Là où nous attendent tous nos frères aimés dans le Christ. Tous les saints glorieux du Ciel. Et tous ceux que nous retrouverons lors de la Résurrection finale de l’Église
glorieuse dans une vision émerveillée de notre Dieu Trinité.
