VINGT-QUATRIEME DIMANCHE ORDINAIRE A 2023

Le pardon

Frères et sœurs,
on ne peut pas s’aventurer à juger de la foi de quelqu’un.
Il existe tellement de variétés de chemins de foi, plus nombreux encore que les chemins des eaux souterraines.
Il y a des fois profondes ou de surface, qui peuvent s’étendre sur des kilomètres ou qui sont intenses au millimètre, des fois rigides ou amples, des fois monochrome et certaines d’une richesse harmonique géniale, des fois naines et d’autres explorant les galaxies.
Il y a la foi du clochard, cachée, de catégorie poids lourds et d’autres habillées en veston cravate, davantage dans le genre ballerine sur pointes…
Il existe la foi de dernière extrémité et la foi de persévérance héroïque…
Des fois cuites et recuites, et d’autres saignantes.
Notre Bon Dieu ne s’ennuie pas avec toutes ces merveilles.
Dieu ne s’ennuie pas, mais nous, on s’y perd et c’est belle humilité que de tout remettre cela dans la foi, à la bonté de Dieu.
Et cependant, pour juger d’une vie spirituelle, je pense qu’il y a une petite clairière. Le sentier de la foi nous échappe, mais on peut s’arrêter au milieu de cette forêt vierge dans une petite clairière, que l’on connaît tous, sur la carte.
C’est l’espace du pardon…
Parlons donc ‘pardon’…
Jésus pulvérise la comptabilité de Pierre.
7 fois….? 7, c’est déjà le chiffre de l’infini.
En bien non, pas 7 fois, mais 70 fois 7 fois…!
Autrement dit,  » arrête de compter, Simon-Pierre. Tu n’as pas encore été blessé… » Parce que, quand nous sommes blessé d’un cœur qui pardonne, on ne peut plus compter. On devient incapable de compter..
Je dis : ‘ blessé d’un cœur compatissant’, parce que le pardon est le fruit de la blessure, d’une grave blessure intime, qui s’est réfugiée au creux d’une main de tendresse.
Ce n’est pas une règle théorique que je vous dis là, chers frères et sœurs, c’est une observation pratique.
Tous ceux que j’ai rencontrés, capables de pardon ‘du fond du cœur’ étaient des grands blessés de l’âme, qui avaient dépassé leurs limites, dont le moteur avait cramé, par un viol, une trahison, un crash minable, un écrasement ou une soumission honteuse au démon et à ses ruses.

Ou tout cela à la fois…
Saint Paul est un grand cramé.
Saint Pierre, les apôtres, tous les saints… Aussi..

Mais ça ne suffit pas.
Car j’ai vu aussi de nombreuses victimes qui restaient cambrées dans la révolte.
Je me rappelle de cette fille musulmane qui s’était détruit la vie, bien aidée certes par de bons serviteurs du démon, et qui criait de sa cellule d’isolement, en prison, « comment je peux me pardonner ? Comment je peux me pardonner ? »
Ou encore, ce jeune gars de parents inconnus, William, en foyer de la DASS à l’époque, où je travaillais, qui gémissait sur sa haine de tout, « personne ne m’aime vraiment… « . Et qui tombait de blessures en blessures, et qui accumulait, comme il disait, conneries sur conneries, plus ou moins graves.
Oui, pour pardonner ‘du fond du cœur’, (c’est Jésus qui le demande, ce ‘fond du cœur ‘) il faut s’être pardonné soi-même.
Avoir pleuré sur sa nullité.
Puis ensuite, s’être réconcilié avec elle.
Et pour cela, frères et sœurs, il n’y a qu’une seule porte. Une seule.
Personne ne peut pardonner à son ennemi qui lui a massacré la vie, s’il n’a pas passé cette porte.
Cette porte, elle est toujours, au fond du gouffre, dans les cendres fumantes, un amour d’une infinie tendresse.
Ce que je vous dis là, frères et sœurs, c’est impossible.
Il est impossible d’associer la faute et l’amour, à vue humaine.
Pourquoi ?
Parce que, pour quiconque, la faute nous rend laid ou laide.
Pire, la faute brise le miroir qui nous renvoie notre image, et elle nous crève les yeux. Inévitablement, la faute détruit ce qu’il y a d’aimable en nous.
Aussi bien la faute sur l’on produit nous même, que celle qui nous est infligée. L’ennemi, il est d’abord en nous, le loup qui hurle la haine on ne sait où, au fond de nous entrailles.
Et c’est pour cela que je ne parle pas aux prudents d’entre vous, ni aux hommes de calcul.
Les prudents et les logiciens ne peuvent pas comprendre et ne peuvent pas accéder aux sources du pardon.
C’est comme s’ils avaient un casque sur leur tête de peur d’entendre le hurlement de leur cœur..

Et puis, la blessure provoque aussi une réaction de protection prudente.
Pire que tout.
Piège supplémentaire du malin.
On ne veut plus prendre de risque, tellement la blessure a brisé la confiance en nous.
Alors, c’est à vous que je parle, qui êtes mort un jour (un jour dont vous vous souvenez comme de ce matin, où vous êtes mort dans un accident, la plupart du temps pourri d’une faute, de ce jour où vous avez fait un choix qui vous a dépassé par sa laideur. Personne, peut-être, a vu ce choix de ténèbres, mais à cet instant-là, votre âme est morte. )
Ce jour-là, précis, vous êtes morts du sabre de la faute. Vous avez failli.
Votre jugement à vrillé.
Votre volonté est tombée dans un traquenard.
Même si on vous y a bien poussé, c’est vous.
De tout ce que je dis il n’y a que la Vierge Marie qui fait exception.
Elle arrive par le même chemin que nous, mais dans l’autre sens : de la pureté absolue, à la Croix, et au pardon.
Impossible humainement de vivre la faute et le pardon.
Seul le Saint Esprit peut créer une alliance entre la mort clinique de la faute et l’expérience d’un amour qui re-propose une vie en supplément.
Ceux qui pardonnent sont tous en sursis de vie. Comme Lazare sorti du tombeau, réanimé, à la voix de Jésus.
Pierre a fait cette entrée en réanimation à l’instant de cette nuit où il est devenu traître à l’amitié divine, où le Christ flagellé, tuméfié, l’a regardé.
Pierre a pleuré de toutes ses larmes.
‘je ne le connais pas…’
Trois fois.
La dette incommensurable. Là, il touche le fond.
Et la réponse de Jésus qui avait été anticipée :
 » quand tu seras revenu, affermis tes frères  »
La mort dans l’âme d’un côté, et le gouffre d’amour de l’autre.
À partir de ce moment là, Pierre a vécu le sursis de la grâce du Christ. Dans le pardon profond et, ensuite, jusqu’à son martyre.
Qui y a-t-il de plus vital pour l’homme et la femme ?
Ce n’est pas la vertu…
Alors on pourrait dire : ‘l’amour’…
Ça, c’est une réponse d’enfants du caté dont certains savent qu’à toute question,
quand on répond ‘l’amour’, ça marche…

Oui l’amour, être aimé(e) est vital pour être soi même.
Mais il y a 40000 espèces d’amour, des plus nulles au meilleures.
Et il y en a une qui est le chef d’œuvre de Dieu, et du même coup le plus riche et le plus fondamental bonheur de l’homme et de la femme.
Dieu, notre Dieu – aucun autre -, notre Dieu de l’Église, de Jésus Christ, de l’Église catholique plus particulièrement, a inventé l’amour de pardon.
Ce n’est même pas qu’il l’a inventé, c’est dans son essence même, divine. Sa perle.
Et c’est le plus fondamental pour le cœur de l’homme.
Avoir été une fois pardonné, avoir été ressuscité d’une faute irrémédiable, d’une mort de son âme.
Ce qui fait la grandeur d’une personne, ce ne sont pas ses réussites et ses bonnes oeuvres, c’est la profondeur à laquelle est venu la chercher le pardon.
Celui qui pardonne, d’une disposition profonde de son cœur, pardonne toujours d’une action de grâce qui monte de la résurrection de son âme.
Et voilà, frères et sœurs, pourquoi j’aime Jésus…
Parce que, tout au long de l’Ancien Testament, on n’arrête pas de supplier Dieu de donner son pardon.
Et ce n’est jamais gagné.
Mais Jésus, c’est celui qui enveloppe de sa tendresse mon cœur blessé.
Dans la mesure où je lui ouvre mon cœur, il m’inonde de son pardon.
De son amour si dépouillé sur la Croix, qu’il va plus loin que toutes mes pauvretés. Jésus, seul Sauveur.
Et Jésus ne fait pas que remettre tel ou tel péché,
Il nous remet dans les bras du Père qui déborde de miséricorde.
Et il nous permet, par cet excès de pardon, de tout restaurer en nous.
Il nous permet de ressusciter…!
Il nous permet de poser notre regard dans le cœur de notre frère, de notre sœur abîmée, pour trouver sa source de résurrection.
J’admets que, souvent, il faut aller la chercher très loin, cette source…
Mais Jésus se trouve précisément aussi loin dans le cœur de notre frère, et dans le nôtre.
Il est toujours en train de payer notre dette.
… Si on lui permet d’atteindre notre cœur, nos dettes et nos blessures …