Troisième Dimanche ordinaire – B – 2024

Sensibilité

 » Va à la grande ville païenne… « . C’est très curieux cette injonction de Dieu à Jonas… Parce que Dieu a largement assez à faire, d’habitude, pour essayer de convertir
son peuple prédestiné. Le peuple hébreu. Et là, Dieu veut convertir des païens. Le plus fort, c’est que ça va se faire. Le livre de Jonas n’est peut-être pas historique – sûrement pas – mais que veut il
dire ?
Je ne vais retenir qu’un aspect qui m’intrigue. Ninive, son roi et tout le peuple, se convertit. Quel est le déclencheur de ce revirement moral et spirituel ?
La peur ? Peur d’une vengeance divine qui reproduirait le scénario de la destruction
de Sodome et Gomorrhe ? … Ou bien serait ce par intelligence que Ninive se convertit ? ‘Tant qu’à faire, il vaut
mieux qu’on change. On a tout a y gagner…’ Ou encore, par fatigue d’une vie morale déconstruite ?
Je n’en sais rien. Mais quelle que soit la raison où la grâce de Dieu était déjà là, Ninive a été sensible
au message de Jonas. Pour se convertir, il faut être sensible. Il faut qu’il y ait en nous des cordes qui vibrent. Le message de Dieu, sa voix, sa douce voix, ne touche que les cœurs qui sont
sensibles. Et j’ajouterai : humbles. C’est l’avertissement de l’ange, dans le livre de l’Apocalypse à l’Eglise de
Laodicée : « Je sais que tu es ni froid ni brûlant . Alors je te vomis de la bouche…  » Le pire, c’est de s’installer dans la tiédeur.. Éviter les situations d’effort, se
laisser désensibiliser. Tout n’est pas gagné par notre sensibilité intérieure, parce qu’il y a des
sensibilités dispersées, certaines aussi détournées ou orgueilleuses. Et enfin des sensibilités bloquées, refoulées. La sensibilité dispersée est ce qui me fait le plus de peine pour les jeunes. Les jeunes sont sensibles. Ils n’ont pas usé leur capital sensibilité en des chemins sans issue. Les jeunes ont toujours envie de lâcher les fauves. Et en cela il y a quelque chose de magnifique en eux.

Alors que les anciens cherchent plutôt à calmer les fauves, à les garder en cage. Mais l’inconvénient pour les jeunes, et pour les anciens immatures aussi, c’est qu’ils sont prêts à croire tous les messages nouveaux, du moment que ça pétille. Et leur sensibilité se disperse. Elle se disperse dans les divertissements. Par curiosité, par une sorte de démangeaison que les médias nourrissent. Pour les jeunes et pour les anciens immatures. Notre monde est mauvais et favorise cette dispersion qui fatigue leur sensibilité. Et principalement leur sensibilité spirituelle. Le deuxième défaut est moins grave. Il peut être plus catastrophique, mais il est moins grave. Ce sont des chemins détournés. Les chemins qui ne visent pas juste. On investit alors notre sensibilité dans une recherche qui nous laissera sur notre
faim. Un idéal trop court ou mal orienté. Une recherche d’excellence, mais sur des bases fausses, de mauvaise philosophie
ou d’ésotérisme poison. Parfois de franc maçonnerie ou de pratiques New âge. Notre esprit et nos forces seront diminuées, mais notre sensibilité peut rester
vive, ouverte. Et j’ai envie de dire aux jeunes :  » n’ayez pas peur. Vous allez vous tromper, mais ce n’est pas grave. Visez loin. Car l’appel de la vérité pourra toujours faire vibrer votre cœur. L’échec, même s’il est humiliant, est source de grâces, parfois magnifiques. Il y a aussi la sensibilité bloquée. Où quelqu’un est sensible, mais ne peut supporter aucune remarque. On ne peut pas l’approcher car c’est toujours dramatique. D’aussi loin qu’on le frôle d’une petite plume de remise en cause, il y a des
cataclysmes qui grondent pour la paroisse et la terre entière. Plus personne n’ose faire la moindre petite remarque. C’est très dommage, parce que ces personnes font le vide autour d’elles, même si
elles cherchent à faire beaucoup du bien. La question n’est pas de faire du bien ou du mal dans ce cas-là… La question serait d’ouvrir sa sensibilité à l’humilité. Dieu voit les cœurs…. Ceci dit, au-delà de ces défauts, revenons à Ninive et aux apôtres. Conversions
réussies. C’était des pêcheurs. Mais des pêcheurs sensibles. Ils attendaient le poisson.

Avec l’effort persévérant. Mais leur cœur attendait un autre épanouissement, aux dimensions d’une Providence qui leur restait inconnue. Jésus dit ‘bienheureux les pauvres’. Parce que les pauvres ont un cœur ouvert. Les riches ont un cœur endormi, fatigué. Et beaucoup de chrétiens ont perdu de leur sensibilité. Le feu d’amour, le sens du sacré, le sel de leur âme. Ils avancent dans leur foi, à petite vitesse. En ce moment où je parle, certains parmi vous accueillez ce que je dis, avec
l’appétit de la grâce de Dieu. Pour d’autres, vous accueillez des mots, dans un brouillard tamisé qui ne rejoint pas
la réalité. Or, dans l’appel des premiers disciples, mais en fait de tous les disciples, et dans cet appel que Jésus nous fait à chacun de nous, il y a quelque chose de fabuleux. Jésus prend l’effort que nous développons et s’il est porté par une sensibilitégénéreuse… Jésus provoque même cet effort et lui donne une nouvelle lumière. La lumière de la grâce. Jésus ne va pas faire d’un architecte de blockhaus un compositeur de symphonie, mais il peut en faire un bâtisseur de cathédrale. Quand Jésus appelle les disciples, il unifie leur vie et la rehausse. Et la sensibilité des disciples va trouver un affinement ouvert sur l’éternel. C’est ce qui se passera bien entendu pour la conversion de Saint-Paul. Il va donner à son message des dimensions universelles. Et dans le petit passage que nous avons lu de l’Épître aux Corinthiens Saint-Paul
nous livre le secret de sa foi. Si vous vivez cela, c’est-à-dire tout ce qui peut vous plaire ou vous faire de la peine, sachez que la grâce surélève votre peine et votre joie. Et cette grâce vous décentre de vos expériences immédiates. Où est elle ?
Nul ne le sait.  » L’Esprit souffle où il veut. On ne sait ni d’où il vient ni où il va…  » Mais ce que l’on sait, c’est que derrière le rideau, derrière le rideau de notre
conscience, de notre sensibilité, il fait grandir une vie intense en notre âme, une joie indéracinable. Vous voyez, frères et sœurs, la vie de la grâce, c’est-à-dire en fait l’amour que
Dieu nous porte et nous transmet, elle nous promet un épanouissement 10000 fois
plus riche et correspondant à notre nature, que tous nos ressentis et toutes nos cogitations, tous nos bavardages seul ou avec les autres, et nos projets…Mais Dieu a besoin de poser cette grâce, insaisissable pour nous, dans un vase qui vibre de désir. Et pour que notre vase vibre de désir et de sensibilité intérieure, il faut qu’il soit unifié. C‘est le grand effort d’un chrétien pour notre temps : S’unifier. Dieu aime les cœurs pauvres et unifiés, c’est-à-dire dirigés sur un seul désir. Ce peut-être un désir fou, à la limite ce peut-être un désir faux, mal défini, – Dieu rectifiera – mais de toute façon ce doit être un désir qui veut aller au-delà. Le pire dans le chemin de Dieu, dans le chemin du bonheur tout simplement, c’est quand le désir s’affaisse, quand il se décourage, quand il prend une voie de garage. Et c’est pour cela qu’il faut pousser le désir quand on est jeune. Car avec l’âge, la tendance naturelle préfère davantage la prudence au désir. Affaires de blessures, affaires de lassitude. ‘ que celui qui est blessé vive comme s’il n’était pas blessé. Que ceux qui pleurent, que ceux qui rient, comme s’ils ne pleuraient pas, ne riaient pas…’ Évidemment, le plus dur c’est que ceux qui vivent avec une femme soient comme
s’ils en avaient pas. Mais rien n’est impossible à la grâce de Dieu.